“Mon fils veut devenir pêcheur…”

"Chers collègues, mon fils veut devenir pêcheur. Mais pour pêcher, pardonnez l'évidence, pour pêcher, il faut des poissons."

Chers collègues, mon fils Joseph veut devenir pêcheur. Ou archéologue. Ou vendeur de farce et attrapes. Ou les trois à la fois. Mais bon, quand même surtout pêcheur.

Le virus l’a pris dans le parc Saint-Pierre, en face de chez moi, à Amiens, des après-midis entières à attraper des grenouilles, à la main ou à l’épuisette, à surveiller sur la Somme un bouchon qui jamais ne bouge, et soudain un prodige : un brochet si gros qu’il ne tient pas dans le seau.

Ce sont des vacances obligatoires en Ardèche, et dès l’aube nous voilà à la rivière, avec plombs et hameçons,  pour une pêche miraculeuse : une dizaine d’ablettes. Friture qu’il faudra cuire à la poêle,  avec force fumée, odeur de graillons à travers la maison, l’alarme incendie qui se déclenche.

Je n’échappe pas aux épisodiques balades en mer, avec la canne à moulinet.Et le soir venu, la lecture obligatoire, une page au hasard, c’est l’encyclopédie Larousse des poissons d’eau de mer. Alors, pêcheur, pourquoi pas, si telle est sa passion…
Je suis donc fort intéressé, avec cette loi, à la formation de mon capitaine Achab.

Mais pour pêcher, pardonnez l’évidence, pour pêcher, il faut des poissons.
Il faut du vivant. Il faut un environnement.Or, dans ce texte, comme souvent, comme toujours en fait, la Planète est la grande oubliée.

La planète, la grande oubliée

Dans les vingt-huit pages de cette convention, j’ai multiplié les “Control F”, zéro fois le mot “corail”, zéro fois le mot “flore”, zéro fois le mot “faune”, zéro fois “espèce protégée”, zéro fois “préservation”

Les mers, les océans se vident.
Se vident de leurs poissons.
Mais dans leur formation, les futurs pêcheurs n’en sauront donc rien ?
Cette tragédie, on ne leur enseignera pas comment l’éviter ?
Comment préserver les ressources ?
Comment renouveler les stocks ?

Car c’est une tragédie tranquille qui se déroule au large, sous l’écume.
Une tragédie qui porte un nom : surpêche.

C’est mathématique: ces quarante dernières années, les réserves de poissons ont décliné de 40%, à cause de la surpêche.

  • Le Thon Rouge, la Baleine Bleue, Le Beluga, le dauphin d’Irrawady, le Mérou Noir, le Grand Requin, le Napoléon… toutes ces espèces s’éteignent, à cause de la surpêche
  • Pour les cabillauds, les soles, les bars, sur nos étals, pour 70% des espèces vendus en supermarché, les stocks diminuent : à cause de la surpêche.

Les mers et océans se vident de poissons. Mais elles se remplissent de plastique. A chaque seconde, 412 kilos de plastiques sont déversés dans les océans.

D’ici 2050, l’océan devrait compter plus de plastique que de poissons. C’est déjà le cas, d’ailleurs, dans des golfes d’Afrique du Nord : des pêcheurs ramènent moitié de poissons et moitié de déchets…

C’est un drame environnemental, donc, la surpêche. Mais c’est aussi un drame social !

Un drame social

Propriétaire d’un bateau, à Calais, Benoit témoigne ainsi : 

« Y a trois ans, les choses ont commencé à se gâter. Avec les collègues, la famille, on ne parlait plus que de ça, du poisson. C’était le désert en mer. Avec ce qu’on remontait, on ne pouvait plus y arriver. »

Résultat, il a vendu son embarcation, abandonné le métier.

C’est qu’en mer se déroule une guerre des classes.
Une guerre des gros contre les petits.
Une guerre des industriels contre les artisans.

Johnny le confie : « Nous c’est des bateaux, eux, c’est un armement. C’est tellement performant… Ils augmentent leurs chiffres, leur flotte, et nous on plonge ».

A quoi devrait servir la politique ? Les pouvoirs publics ? Ils devraient servir de bouclier aux petits, de protections pour les faibles. Au contraire, ils appuient les gros, ils viennent en renfort des puissants…

Et la commission pêche du Parlement européen alloue des subventions à la méga-industrie, 6 milliards d’€, 6 milliards d’€ pour prélever plus, toujours plus, avec des armements immenses, toujours plus immenses…

Même la pêche électrique !

Même la pêche électrique, pourtant interdite, en théorie, depuis 1998, même la pêche électrique est subventionnée ! Vingt millions d’€, distribués aux Pays-Bas, les cancres de la pêche.

C’est un drame environnemental, donc.
C’est un drame social.
Mais c’est aussi et surtout un drame pour les pays du Sud.

Un drame pour les pays du Sud

Les grands capitaux, chinois, européens, américains, affrètent des giga-bateaux pour surexploiter dans les mers du sud, pour rafler les anchois, les sardines, les maquereaux…

Et tenez-vous bien : à quoi servent ces anchois, sardines, maquereaux ?
A fabriquer une farine, qui viendra nourrir les poissons élevés dans les piscicultures du Nord ! La truite de pisciculture, le saumon de Norvège !

Les pêcheurs du sud, artisanaux, en pirogue, eux, sont détruits par ces mastodontes, par ces bateaux-usines.
Les habitants des côtes, en Afrique, en Asie, ne vivent plus de la mer,
ne s’en nourrissent plus. La surpêche industrielle les tue, aujourd’hui, tout comme l’agro-industrie du Nord a tué les petits paysans du Sud… Et l’on viendra se plaindre des migrations !

Alors, il nous faut réglementer, réguler, établir des quotas.
Il nous faut sortir la pêche de la mondialisation.
Sortir la pêche du libre-échange.
Sortir la pêche du marché.
Pour sauver le Beluga, le dauphin d’Irrawady, le Mérou Noir, le Grand Requin, Le Napoléon.
Pour que se renouvellent les réserves.

Pour que “pêcheur” ne se décline pas au passé, comme forgeron ou charron, pour que les documentaires du commandant Cousteau ne témoignent pas d’un monde disparu, pour que tous les fistons et fillettes de la Terre puissent encore guetter une ombre dans les rivières et dans les mers, s’émerveiller – comme les enfants dans le roman d’Amos Oz : « un éclair fulgura entre la végétation et les parois rocheuses. On aurait dit le reflet d’un couteau qui s’enfonçait dans l’eau, un frétillement d’écailles comme du vif argent, un poisson… »

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