Demande d’une mission d’information sur les bénéfices des Gilets jaunes pour les Français

L'Assemblée nationale vient, nous l'apprenons, de créer une mission d'information sur le coût pour les Français du mouvement des Gilets jaunes. Pourquoi pas. Nous avons aussitôt demandé une mission sur les bénéfices pour les Français du mouvement des Gilets jaunes. C'est avec un sinistre prisme d'experts comptables que les macronistes regardent notre Histoire : et quelle est l'évaluation de 1789 ? Et l'audit des grèves du Front populaire ? Notre lettre à Roland Lescure, président de la Commission des affaires économiques.

Monsieur le Président de la commission des affaires économiques,

Le vendredi 29 mars, dans Les Échos, vous avez publié une tribune intitulée : « Disons aux Français ce que les « gilets jaunes » ont coûté à l’économie ». Dans cet article, vous annoncez avoir « saisi le président de l’Assemblée nationale, pour proposer aux députés de mener en toute transparence les investigations et les évaluations pour que soit connu le prix des dégâts commis au nom de la liberté de manifester, ainsi que les répercussions sociales et économiques dans les secteurs impactés ». J’apprends aujourd’hui que cette mission vient d’être créée.

Pourquoi pas, je n’en suis pas étonné.
Avec un gouvernement qui n’offre d’autre sens à la France que « la concurrence, la concurrence, la concurrence », qui poursuit comme seul idéal de « réduire sous 3% le déficit public », avec une majorité qui ne jure que par « le contrôle et l’évaluation », qui se vit comme un cabinet d’audit, votre lubie ne m’a pas surpris. Vous auriez, sans doute, en 1789, réclamé une évaluation « des dégâts commis au nom de la liberté », et en 1936, une évaluation du coût des grèves du Front populaire. Ainsi regardez-vous notre Histoire, l’histoire qui s’écrit au présent, sous nos yeux: comme un expert-comptable.

Admettons.
Admettons, mais alors, je vous demande le complément: combien les Gilets jaunes ont rapporté aux Français ? Je vous demande avec le groupe de la France Insoumise de créer une mission d’information qui évalue ces bénéfices.

D’abord, grâce aux Gilets jaunes, le Président a renoncé à augmenter la taxe sur le carbone. Cette hausse devait toucher, en particulier, les classes populaires des périphéries, qui n’ont pas d’alternative à la voiture pour se déplacer. Un gain pour elles, au final, de 4 milliards d’euros.

De plus, près de deux millions de salariés, dans 200 000 entreprises, ont touché une prime, de 450 euros en moyenne, abusivement nommée « prime Macron ». Que nous devrions rebaptiser « prime Gilets jaunes ». Soit plus d’un milliard d’euros. Et je suggère à tous les travailleurs du pays qui en ont bénéficié, de prendre leur fiche de paie, de surligner au stabilo jaune fluo la ligne en question, de la publier sur Facebook en écrivant : « Merci les Gilets jaunes ! »

L’augmentation de la prime d’activité a ses limites : elle n’a rien à voir avec une augmentation du SMIC, est loin de correspondre à 100 euros par salarié, comme le prétendait le président. Elle représente néanmoins 2,5 milliards d’euros.

Autre effet : le retour en arrière sur la hausse de la CSG (pour les retraites de moins de 2 000 euros). Soit 1,5 milliard d’euros pour les retraités. Ce qui demeure, j’en conviens, peu comparé aux milliards que leur avez pris, mais toujours mieux que rien.

Enfin, la défiscalisation et la désocialisation des heures supplémentaires (tout en demeurant opposé à cette mesure). Et ce sont à nouveau deux milliards qui viennent s’ajouter.

Au total, environ une dizaine de milliards furent arrachés par les Gilets jaunes. « Environ », car ces calculs sont effectués, il faut l’admettre, à la louche. D’où l’utilité d’une mission d’information qui viendra préciser les bénéfices.

Enfin, dans votre tribune, vous brandissez la menace des 0,1 à 0,2 point de croissance perdus “à cause” des Gilets jaunes. Rien n’est moins sûr. Car même avec le prisme sinistre d’un cerveau-calculatrice, même en éliminant les valeurs, la fraternité, la lutte, l’espérance, soulevées par ce mouvement, même en demeurant sur le terrain statistique : l’Insee a certes estimé que ce mouvement avait fait perdre 0,1 point de croissance à notre pays. Mais dans le même temps, l’OFCE calcule que les mesures lâchées par le président feront gagner 0,3 point de croissance. Soit + 0,2 point.

Et encore, dans ses modèles, l’Insee n’intègre pas tout ! 21 millions de personnes ont visionné le clip de Kopp Johnson, “Macron démission”, où il danse en Gilet jaune, et 8 millions le “freestyle Gilet jaune” de D. Ace. En plus d’enrichir notre patrimoine culturel, ces vidéos génèrent autant de vues que de publicités sur lesquelles l’Etat prélève 2% au titre de sa “taxe YouTube” pour les reverser au Centre National du Cinéma et de l’image animée. Mais surtout, YouTube et les autres géants du numérique vont enfin devoir mettre la main à la poche, encore une fois grâce à ce mouvement des gilets jaunes.

En effet, il a fallu attendre la pression populaire pour que notre ministre de l’Economie se décide, enfin, trop modestement, avec des trous dans la raquette, à taxer les Gafas ! 500 millions d’€ grattés à ces multinationales. S’y ajoute, dans le même texte, le gel de la baisse de l’impôt sur les sociétés pour les 750 plus grosses entreprises de notre pays. Encore 1,7 milliard qui seront récupérés, ou plus exactement: qui ne leur seront pas lâchés.

Vous parlez enfin des “terribles impacts en termes d’image et d’attractivité internationale” et de touristes inquiets qui n’oseraient plus venir visiter notre beau pays. À qui la faute ? A votre ministre de la Culture, qui pourrait au contraire valoriser cette tradition révolutionnaire française, qui pourrait protéger les cabanes et les oeuvres d’art de ces Gilets jaunes sur les ronds-points, qui pourrait se faire une fierté de cet art populaire – comme on se flatte d’avoir chez nous le facteur Cheval.

Pour que l’audit soit complet, je vous demande donc de compléter votre mission sur les coûts, avec la mienne sur les bénéfices.

Nous aiderons ainsi à nourrir l’espérance. Nous dirons aux Français : vous voyez, quand on se bouge, on gagne. Les Gilets jaunes étaient trop peu, ils ont jusqu’ici gagné un peu, pour tous. Mais qu’on s’y mette à beaucoup, et contre le banquier de l’Elysée, contre ses amis financiers, nous gagnerons beaucoup.

Je ne doute pas que vous aurez à coeur d’accéder à ma demande, par souci d’objectivité.

François Ruffin.

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