Le relocalisation sans le protectionnisme, c’est du bidon

Il faut arrêter la mondialisation. On doit se protéger. Il faut l’arrêter, comme une machine infernale, lancée dans une course folle, qui écrase tout sur son passage. Et conçue pour tout écraser.

« J’ai de la sympathie, écrivait John Maynard Keynes, pour ceux qui veulent minimiser plutôt que maximiser l’imbrication économique entre les nations. Les idées, la connaissance, l’art, l’hospitalité, les voyages : autant de choses qui sont, par nature, internationales. Mais que les marchandises soient de fabrication nationale chaque fois que c’est possible et commode. »

Notre rupture va de soi :
Il faut arrêter la mondialisation. On doit se protéger.

Il faut l’arrêter, comme une machine infernale, lancée dans une course folle, qui écrase tout sur son passage. Et conçue pour tout écraser : « Le droit du travail et la protection de l’environnement sont devenus excessifs dans la plupart des pays développés, estimait le libéral Gary Becker, prix Nobel d’Economie, en août 1993. Le libre-échange va réprimer certains de ces excès en obligeant chacun à rester concurrentiel face aux importations des pays en voie de développement. » Grâce à Maastricht et à l’Union européenne, grâce à l’ Alena, l’Accord de libre échange nord américain outre-Atlantique, grâce au Gatt et à l’OMC partout, le « libre-échange » a écrasé « le droit du travail » et « la protection de l’environnement ». Voilà qui ne relève pas du « dysfonctionnement », mais du « fonctionnement », prévu, souhaité.

Il faut arrêter la mondialisation. On doit se protéger.

Mais comment ?
Tout bêtement : avec des quotas d’importation, des taxes aux frontières, des barrières douanières, qu’on peut renommer « écluses » pour faire joli, plus gentil. Avec un contrôle des flux, des flux de capitaux, des flux de marchandises. Avec ces outils, qu’on a sous la main, prêts à l’usage, et qui durant des décennies, voire des siècles, ont limité la « folie » de l’économie, ont régulé le commerce sans l’interdire.

La « relocalisation », sans ça, c’est du bidon, les « circuits courts » pour le décor, si on ne place pas des taxes, des taxes, des taxes, comme des cailloux dans les rouages de la machine infernale, pour l’entraver. Des taxes, non pas tous azimuts, aveuglément, 20 % sur tout, mais au contraire avec une stratégie, en vue – autre mot interdit – d’une « politique industrielle » : que veut-on relocaliser ? Les médicaments ? Les aliments ? Les vêtements ? Quand je les consulte sous Excel, les tableaux de l’OMC comportent plus de dix mille « lignes tarifaires » : c’est dire l’extrême souplesse dont on dispose, une plasticité qui permet, par exemple, de relever de 15 % les taxes sur les roues de vélos en aluminium en provenance de Hong-Kong, de 18 % celles en carbone, de 25 % lorsqu’elles arrivent du Vietnam, etc. Ce cas par cas est à portée de souris, très éloigné des caricatures, de ces douaniers aux gros doigts qui « fermeraient les frontières » à l’aveugle.

Il faut arrêter la mondialisation. On doit se protéger.

Mais protéger quoi, qui ? Non pas l’économie, même pas l’industrie, je ne suis amoureux ni du bruit des machines, ni des cheminées qui fument. Protéger, d’abord, la démocratie : « Que veut-on encore produire ? Que ne veut-on plus produire ? Des pneumatiques ? Des lave-linge ? Des sèche-linge ? Et où veut-on les produire ? Et à quel prix ? Et en travaillant combien d’heures ? Et en se levant en pleine nuit ? » Ces questions ne sont plus permises, compétitivité oblige. Qu’on désire, demain, et à vrai dire je le désire aujourd’hui, qu’on désire limiter fermement le trafic aérien, encadrer la chimie, conduire une mue de l’agriculture, partager avec vigueur le temps de travail et les revenus, interdire la publicité, élever le coût du transport, que nous répliqueront-ils tous ? « Vous allez nuire à la compétitivité », et ce sera vrai. Alors, cette protection, c’est le moyen qui, aujourd’hui, pourrait rendre au « démos » sa primauté, desserrer l’étau de la concurrence, rouvrir le champ des possibles. Protéger la vie, la vie sociale, la vie de la planète, contre cette machine infernale.

Il faut arrêter la mondialisation. On doit se protéger.

Mais protéger où ? Aux frontières de la France, ou de l’Union?
Qui espère encore, franchement ? Ou bien n’est-ce qu’un hochet, qu’on nous agite pour patienter ? Et sans même se lancer dans une critique de l’Europe, de ses fondements, de ses institutions : je ne crois pas à cette histoire qui avance à l’unanimité. Qu’on imagine le Front Populaire, aujourd’hui, avec ce raisonnement : « ‘Deux semaines de congés payés’ ? ‘Quarante heures par semaine’ ? Nous, on est avec vous, répondrait Léon Blum à la foule, mais si on le fait tout seul, jamais ça ne va marcher. La compétitivité des entreprises françaises va souffrir. Elles vont perdre des parts de marché. Et au final, c’est vous, les salariés, qui risquez d’en pâtir. Donc, nous, socialistes français, socialistes européens, on vous a bien entendu. Ce qu’on vous propose, c’est qu’au prochain Conseil de l’Union, à Bruxelles, on présente une série de mesures à nos partenaires : pour que ces deux semaines de congés payés, cette loi des quarante heures, s’imposent (pas tout de suite mais bientôt) dans tous les états. Qu’on fasse une Europe sociale ! »
C’est une leçon d’impuissance.

Est-ce que je prône, pour autant, le « repli sur soi » ? Au contraire, tout le contraire ! Et le premier geste de mon président rêvé, son premier voyage, aussitôt élu, devrait l’amener à Madrid, à Lisbonne, à Rome, à Athènes, à faire le tour des capitales du sud, à rencontrer ces peuples en souffrance, à discuter avec leurs dirigeants, qu’ils soient de droite, qu’ils soient de gauche, qu’importe, à nouer des alliances, à expliquer son expérience, à les inviter dans la danse, puis à s’en faire les porte-drapeaux, les porte-voix à Bruxelles Francfort et Berlin, tapant du poing, ouvrant dans un sombre horizon de résignation une lueur d’espérance.

La voilà, à travers l’histoire, la grandeur de la France.

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