Femmes de ménage : encadrer la sous‑traitance, cesser la maltraitance

Hier, le Président leur rendait hommage. Aujourd'hui, il est temps de passer de la parole aux actes. Qu'à l'Assemblée et ailleurs, on encadre la sous-traitance, pour que cesse la maltraitance des femmes de ménage : voilà le sens de ma proposition de loi.

« Il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. ‘Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune’. Ces mots, les Français les ont écrits il y a plus de 200 ans. Nous devons aujourd’hui reprendre le flambeau et donner toute sa force à ce principe. » Emmanuel Macron, 13 avril 2020.

Exposé des motifs

« Est‑ce qu’on va la toucher, nous, la prime ? » Géraldine est agent d’entretien au Centre hospitalier universitaire d’Amiens, via Onet. Elle a poursuivi sa tâche, par temps de covid‑19, nettoyant avec un virucide : « On a demandé à être reconnus. Pas forcément avoir les mille euros, mais au moins un geste. Les soignants reçoivent une aide pour le carburant, pas nous… »

La distinction est nette entre les personnels : « Avant, l’hôpital embauchait des femmes de ménage directement. Maintenant, il a délégué les couloirs, les communs, et depuis pas longtemps, même les chambres… » C’est son chantier du soir, ça, de 16 h 30 à 19 heures. Le matin, de 6 heures à 9 heures, avec Absolu propreté, elle nettoie à l’Université. Plus des heures dans des boîtes de la zone industrielle. Avec le temps de transport entre ces lieux, ses journées ont plus de treize heures d’amplitude. Et pour même pas le Smic à la fin du mois. D’où son maigre espoir : « La prime, c’est au bon vouloir du patron. »

L’engagement

Le président de la République, durant cette crise, a « salué l’ensemble des femmes et des hommes qui sont en deuxième ligne, qui permettent à nos soignants de soigner et au pays de continuer à vivre, ce sont les femmes et les hommes qui transportent, qui hébergent, qui nettoient… » Et durant un second discours, M. Emmanuel Macron a cité la déclaration des droits de l’Homme : « Il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. “Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune”. Ces mots, les Français les ont écrits il y a plus de 200 ans. Nous devons aujourd’hui reprendre le flambeau et donner toute sa force à ce principe. »

L’heure est venue, alors.
L’heure est venue de « reconnaître et rémunérer » Géraldine et ses collègues. Pas seulement par des mots, ni même par une prime, mais par un encadrement de la sous‑traitance.

Vu de l’intérieur

Ancien directeur des ressources humaines dans une multinationale, Thierry nous avait raconté de l’intérieur cet « out‑sourcing » de l’intérieur, la dégradation engendrée chez les femmes de ménage :

« Au bout de 35 ans chez R., ils m’ont licencié pour “insuffisance professionnelle”.

Tout s’est brusqué sur les femmes de ménage. Jusque‑là, elles faisaient partie de l’entreprise, salariées de R., avec tous les avantages. Le Comité d’entreprise, les chèques vacances, le Noël des gosses, y avait Lucette, Andrée, Sylviane, on les tutoyait, elles avaient leur vestiaire, elles prenaient le café dans la salle de pause. Elles terminaient à 1 900 €, avec le treizième mois en plus, des primes. Y avait des absences, certes, ça arrivait, des gosses à garder, ou un lumbago, m’enfin, le boulot était fait, personne ne se plaignait. Et puis, est venue l’idée, l’ordre plutôt, de sous‑traiter. D’externaliser. On est passés par une société privée, un cadre est venu établir le devis : surface au sol, surface de vitres, surface industrielle, surface de bureau, nombre de toilettes, il a tout mesuré, calculé. Et ensuite, on ne les voyait plus, ces femmes, elles arrivaient tôt, à 5 h du matin, à 8 h elles étaient repartis. Des fantômes. Ca n’était que des temps partiels. J’ai échangé, une fois, avec l’une d’elles : elle cumulait trois chantiers dans sa journée, notre usine le matin, des assurances le soir, un particulier dans l’après‑midi. Ça lui faisait 800 €. Et nous, tous les ans, on comprimait les tarifs du sous‑traitant. On serrait de 2,5 %, 1 %. C’était un gros marché, pour eux, ils étaient tenus à la gorge.

On a fait grosso modo pareil sur les vigiles.

C’était contre ma nature, tout ça. La direction me reprochait mon humanité. »

Jusqu’à l’Assemblée

Cette sous‑traitance, nous en voyons chaque jour les dégâts. Chez Whirlpool, chez Goodyear, avant même les fermetures. Mais dans les lycées, les collèges également : « Faut nous défendre, nous interpelait une dame dans ma rue. Le Département nous fait passer au privé, ils nous ont dit : “Vous n’êtes pas dans notre cœur de métier. Nous, on a traduit : Du balai, les balais !” » Combien de témoignages j’ai recueillis, dans les quartiers, ou même dans les villages, avec des femmes de ménage ultra‑précarisées, jonglant entre contrat emploi solidarité pour la mairie, Contrat unique d’insertion pour l’hôpital, Chèque Emploi Service pour un papy. Et jusqu’à l’Assemblée, avec ses lustres et ses dorures, mais qui ne brillent pas tout seul : « J’habite Les Mureaux, nous disait Graziella. Je me lève à 4 h, je prends le bus à 4 h 53, il m’amène à la gare à 5 h 03, là en principe j’arrive à Saint‑Lazare à 6 h 10. Mais souvent, le train est en retard. Des fois, je pleure. Ensuite, après le travail, je retourne à 9 h 07…
– Donc, vous venez pour trois heures ?
– C’est ça. Depuis 1993.
– Vous faites tout ça pour trente euros ?
– Voilà. On n’a pas le choix. »

Ca, sous notre nez, alors que les députés touchent leur 5 715,43 €… Nous avons appelé un prestataire : « Vous savez, M. Ruffin, m’a répondu la directrice, mon objectif, c’est d’aller vers le temps plein. Mais il faut que j’aie des demandes du donneur d’ordre. Le 13e mois existe chez d’autres clients, il y a des négociations tripartites avec les syndicats. Si jamais les clients ne réclament pas ça, nous avons les mains liées, et ça ne se fait pas. »

Nous espérions changer ça, un peu, au moins, durant notre quinquennat parlementaire. Les intégrer dans la fonction publique, il ne fallait pas rêver, mais des salaires au‑dessus du Smic, moins de temps partiels contraints, le treizième mois pas que pour les cadres, et des horaires aménagés, pas forcément à l’aube, avant l’ouverture des locaux et des bureaux. En vain. Le questeur, avec ses 12 200 € brut, son maître d’hôtel‑chauffeur offert par l’Assemblée, son appartement de fonction au sein du Palais Bourbon, s’est fait, avec les Graziella, le champion de l’austérité, avec mille arguties juridiques à la clé.

J’ai appelé Graziella.
L’Assemblée fermée, on l’a appelée en renfort dans le RER. Sans masque ni prime. À 10,22 € de l’heure.

Rendre visibles les invisibles
Nous sommes des assistés, assistés par une nouvelle domesticité : « L’invisibilité imposée à ceux qui assument les tâches ménagère, compare Mona Chollet, n’est plus aussi spectaculaire que dans ce manoir du Suffolk où les serviteurs devaient tourner leur visage contre le mur quand ils croisaient un membre de la maisonnée. Pourtant, elle demeure. Une campagne de communication de l’Agence nationale des services à la personne montrait ‘des aspirateurs et des pulvérisateurs de nettoyants pour vitres qui semblaient animés par l’opération du Saint‑Esprit »… Et l’essayiste de nous amener chez le plus célèbre des magiciens, Harry Potter : « Dans les familles riches ou à Poudlard, s’activent les elfes de maison qui ne touchent aucun salaire. Comme leurs homologues humains, ils sont condamnés à la clandestinité. À l’école des sorciers, ils nettoient les salles communes la nuit, quand les élèves dorment, et les dortoirs le jour. Mais leur invisibilité atteint son paroxysme au réfectoire : à l’heure des repas, des montagnes de victuailles apparaissent sur les tables, comme surgies du néant. Il faut plus de deux ans de scolarité à Hermione pour réaliser que les plats sont envoyés depuis les cuisines par des elfes. À la suite de cette révélation, elle refuse un temps de s’alimenter, révoltée à l’idée que son bien‑être repose sur un esclavage. Cette sensibilité sociale prononcée suscite l’incompréhension et la réprobation de son entourage. “Ne va pas leur mettre des idées en tête en leur disant qu’il leur faut des vêtements et des salaires !” la prévient l’un des jumeaux Weasley. Mais Hermione persiste et fonde la Société de libération des elfes de maison… »

De la parole aux actes

Les voilà héroïsées, désormais, dans la presse, effectuant « une mission civique de salubrité » (Ouest‑France), « l’armée des ombres des hôpitaux » (Le Monde), jouant un « rôle indispensable » (Huffington Post), « invisibles et essentielles » (Le Figaro)…

Des bons sentiments, cette proposition de loi veut passer aux actes. Que, pour les plus maltraitées de la société, et pourtant les plus utiles, on n’attende pas demain toujours demain, l’après de l’après.

Par quelles dispositions ?

Même sous‑traitées, elles devront être traitées comme des salariés du donneur d’ordre, avec « le Comité d’entreprise, les chèques vacances, le Noël des gosses », avec surtout, le même taux horaire, les mêmes primes, l’ancienneté qui s’applique. Que le recours à une société extérieure ne signifie plus un dumping social.

Aussi, et cela participe d’une même logique : que les heures tôt le matin (avant neuf heures) et tard le soir (après 18 h), soient surpayées, de 50 %. Pourquoi ? Afin d’éviter les horaires décalés, et que “les femmes et les hommes qui nettoient”  soient intégrés au collectif de travail, non plus « invisibles », que les entreprises soient incitées à leur confier des plein‑temps en journée, et non plus des mini‑missions.

Voilà les deux conditions, nécessaires, pour que ce métier ne soit plus piétiné.

Sinon, « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune » ne sera que du flan, pour faire joli dans les discours du président.


Proposition de loi

Article 1er

L’article L. 1242‑14 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions légales et conventionnelles ainsi que celles résultant des usages applicables aux salariés de l’entreprise utilisatrice s’appliquent également aux salariés des entreprises extérieures soumises aux dispositions de l’article R. 4512‑7, à l’exception des dispositions concernant la rupture du contrat de travail. »

Article 2

L’article L. 8231‑1 du code du travail est complété par un nouvel alinéa ainsi rédigé :

« Les contrats conclus entre les entreprises utilisatrices et les entreprises extérieures soumises aux dispositions de l’article R. 4512‑7 contiennent obligatoirement une clause permettant de garantir l’égalité salariale et l’égalité de traitement visée au deuxième alinéa de l’article L. 1242‑14. L’absence de cette clause emporte présomption de marchandage. »

Article 3

Après l’article L. 3122‑15 du code du travail, il est inséré un article L. 3122‑15‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 3122‑15‑1. – À compter du 1er janvier 2021, dans les entreprises entrant dans le champ professionnel d’application de la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011, les  heures de travail effectuées entre 18 heures et 9 heures sont majorées de 50 %. »

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