Député-reporter !

Ça fait dix-huit ans que je suis « reporter », et franchement, j’éprouve nettement plus de joie, de plaisir, à être sur le terrain que sur les moquettes de l’Assemblée…

Avec mon équipe, nous nous efforçons de lier les deux, et pour chaque dossier, de multiplier les rencontres en circonscription.

À la ferme : « Y a un truc qui ne tourne plus rond. »

À la Commission des affaires économiques, depuis six mois, je participe activement aux « États généraux de l’alimentation » voulus par Macron. Comment garantir aux agriculteurs un revenu décent ? Comment, aussi, faire évoluer l’agriculture ?

À Paris ou à Amiens, j’ai rencontré les syndicats agricoles : FNSEA, Coordination rurale, Jeunes agriculteurs, Confédération paysanne. Plus des visites à la ferme : Ainsi, au Mesge, chez Isabelle Marlot.

« Quand on s’est vus, en mai, vous aviez l’air angoissée ?
— Je le suis toujours. L’année dernière, avec la chute des cours, ça nous a fait 70 000 € en moins. Tout l’argent de côté, on l’a mangé en un an.
— Le gros souci, reprend Pascal, son frère, c’est les prix. C’est catastrophique. Notre exploitation repose sur le blé et le lait, et d’habitude, on a toujours l’un qui rattrape l’autre. Le blé est à 135 €, il y a deux ans il était à 200. Le prix de revient est à 150 €. Donc, on y perd. Mon père, il avait un cours du lait à 2,20 francs, il y a trente ans. Là, à 330 € les mille litres, ça n’a pas bougé, 33 centimes d’euro. Sachant qu’on a pour 15 à 20 centimes de nourriture par litre. On le vend à la coopérative au tarif A ou au tarif B, le A est vendu comme lait, le B deviendra du fromage, du beurre. Donc, tous les trois mois, on doit se positionner. C’est la bourse. Faut parier sur les cours du A et du B. Nous, on vise la sécurité, on reste comme on est.
— Votre métier, c’est pas de faire boursicoteur…
— Exactement ! Exactement ! »

Eux sont ballottés dans un univers financier, assez mystérieux, énigmatique :

« Là, le cours mondial est à 227. En Europe, c’est à 307. Je vois ça sur mon téléphone, mais je ne sais pas trop comment ça fonctionne. Comme on savait que le marché allait être envahi, on a reçu une prime pour qu’on ne produise pas !
Pour qu’il y ait moins de lait, et que ça ne fasse pas chuter les cours ! En prévision des importations ! De toute façon, quand on enlève les primes Pac, c’est 70% de notre revenu. On se dit, ‘‘Mince, y a un truc qui ne tourne plus rond…’’ »

Avec les étudiants : « J’ai pris un crédit de 25 000 €. »

Avant la loi sur la sélection à l’Université, je faisais une petite réunion genre Tupperware avec un groupe d’étudiants.

Alexandre : J’étais en licence d’histoire et là, je me suis rendu compte que j’avais un rêve de gosse à portée de main : l’archéologie. Y avait un Master pro là-dessus, et j’hésitais.
François Ruffin : Pourquoi tu hésitais ?
Alexandre : Parce qu’il y avait deux stages de trois mois, non rémunérés. C’était compliqué. J’avais déjà un prêt de 6000 € sur le dos. Je bossais à Brico-Dépôt, au Gaumont, à la fac, dix à quinze heures par semaine, pour surnager. Et ces jobs‑là, une fois en stage, éloigné d’Amiens, je devrais les lâcher. L’alternative, c’était de prendre un nouveau crédit, mais pour moi c’était hors de question. Donc, j’ai renoncé, et à la place, je suis entré chez Médiamétrie. Téléconseiller, je n’ai vraiment pas envie de faire ça longtemps…
F.R. : Y en a d’autres qui se sont pris des crédits, comme ça ?
Zoé, qui lève son bras : Ma soeur est entrée à Paris, dans une école, et mes parents ont payé pour. Après ça, ils m’ont dit: « On ne peut plus, débrouille-toi. » J’ai pris un crédit de 25 000 €, pour toute la durée de ma formation.

Maisons de retraite : « ça va fâcher les familles… »

Sollicité par les grévistes de l’Ehpad de Foucherans, je me suis rendu dans le Jura, en une action un peu coup de poing. Puis, plus calmement, à Saint-Riquier. L’occasion aussi de croiser des « contrats aidés ».
Dans les couloirs, on discute avec Nathalie. On l’a renommée, on ne sait jamais.

« La première fois, c’était à l’Ehpad Notre-Dame, à Abbeville, et j’avais bon espoir, j’y croyais. J’y suis restée deux ans, et puis c’était terminé. Deux années après, ils m’ont reprise, mais cette fois-là, je savais qu’il n’y avait pas d’espoir, que je resterais deux ans et qu’ils en prendraient une autre. Des fois, on me prend pour des remplacements, pendant les vacances, les arrêts-maladie des titulaires. Et là, c’est pareil, je n’ai aucune illusion, parce qu’il y a du monde qui attend, des histoires de budget, enfin… »

On mesure son découragement, à Nathalie.
C’est injuste, profondément.
Jamais, sur son travail, on ne lui a fait le moindre reproche, aucune critique. Et pourtant, sa carrière ne sera que ça, ces pointillés, sans espoir, sans stabilité.

On se rend à Abbeville, justement, à l’Ehpad Notre-Dame. Laurent Poulin, le directeur, a noté sur un post-it les points qu’il souhaite « remonter aux députés ».
Avec, en haut de sa liste :

« La première chose, c’est : faites quelque chose pour les contrats aidés. Les maisons de retraite, il faut les entendre. Depuis trois ans, on m’a poussé, j’ai des courriers du ministère, du préfet, à prendre des contrats aidés, et là d’un coup on me dit “stop”. En octobre, j’en ai un qui se termine, et sur ses épaules repose le ménage de tout un étage. Comment je fais ? On ne fait plus le nettoyage ? Plus d’animation, non plus ? En tout, j’en ai trois, pour 2, 3 postes. Je n’ai pas le budget. Si je les remplace par des titulaires, mon prix de journée il flambe de 2 €. Le Conseil départemental, il ne sera pas d’accord du tout, et ça va fâcher les familles… »

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