Amiens : manifester n’est pas un délit

À Amiens, dans notre ville, des militants, des militantes, sont aujourd'hui poursuivis, sous des prétextes assez gazeux. Aucun, aucune, pour violence. Aucun, aucune, pour le moindre jet de projectiles. Dans quel but, alors ? Non pas d'enquêter, mais humilier.

Pour Romain Ladent, durant le défilé, la police n’a cessé de le photographier. Mais pas un cliché ne le montre agressif, frappant sur les forces de l’ordre, ou cassant une vitrine. Et pour cause : c’est un adepte de la non-violence. Qu’importe : un cutter retrouvé dans son sac en fera un dangereux criminel qui lui vaudra un contrôle judiciaire, un passage au poste de police chaque samedi, et enfin un procès au tribunal correctionnel ce jeudi 13 février.

Amandine s’est avancée face aux CRS rue de la République. Face aux fumigènes, elle remonte son écharpe sur le nez. Voilà un excellent chef d’accusation : dissimulation du visage. Ce serait simplement ridicule, si elle n’en sortait pas traumatisée : qu’on puisse l’embarquer sans motif réel, la garder 21 heures au poste, la déférer au parquet… ressentir tout le poids d’un arbitraire.

Pour Raphaël, c’est un doigt d’honneur dressé, durant la manifestation, à l’endroit de la maréchaussée qui lui vaut une inculpation : outrages. On a connu, en effet, des gestes plus courtois, mais est-ce une raison suffisante pour être mis en cellule, et encombrer police et justice durant des heures ?

Alors que des individus, sans brassard, sans identifiant, empoignaient son voisin, Jules a tenté de le retenir. Il s’est accroché à lui, a reçu un coup à la joue qui l’a assommé. A son tour, il connaîtra les joies du commissariat. Les policiers hésiteront longtemps sur le motif d’arrestation, « outrage », « entrave à interpellation », « violence sur personne dépositaire de l’autorité publique», finalement abandonnés. Avant d’opter pour un quatrième, assez vaste pour tout accueillir : « rébellion ».

Je narre ces choses avec légèreté.

Elles sont graves.

Ces hommes, cette femme, Romain, Amandine, Raphaël, Jules, sont connus de tous. Ils exercent le métier d’enseignant, d’animateur, de fonctionnaire. Leur adresse se trouve dans le bottin. Eux auraient répondu, sans hésiter, à une convocation, policière ou judiciaire. Mais il importait de les embarquer, de les garder au trou, qu’ils y passent la nuit, dans le froid, dans le noir, dans la merde, puis une seconde nuit, deux jours de garde à vue, pour dix minutes d’interrogatoire. Dans quel but ? Un seul, unique, non pas enquêter, non pas faire surgir la vérité : humilier.

Ces événements engendrent des troubles chez toutes ces personnes, laissent des séquelles : perte d’attention, cauchemars nocturnes, peur dans la rue… Et pourquoi ? Parce que c’est la confiance dans tout l’ordre social qui est soudain ruiné, brisé. On peut donc vous prendre, vous accuser d’un délit véniel, vous déchoir de vos droits ?

Rien n’est plus urgent que de rétablir cette confiance, d’œuvrer à la rétablir. Et je suis aujourd’hui inquiet : dans la démocratie qu’est la France, dans notre ville d’Amiens, s’opposer aux pouvoirs, le manifester, le crier, n’est pas un délit, ne doit pas le devenir.

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