De vrais emplois pour les Assia !

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J’ai rencontré Assia ce printemps, un samedi matin. J’accompagnais ma fille Ambre – elle a six ans – à un petit tournoi d’athlétisme inter-écoles à Amiens-Nord. Elle courait, elle sautait, elle lançait des poids, avec une quarantaine de gosses.

À la fin, on avait presque terminé, j’entends un chœur de « Assia ! Assia ! Assia ! » Une femme venait d’entrer dans la cour. Les gamins lui tournaient autour, s’accrochaient à son pantalon, comme des chiots qui font la fête à leur maître.

« Ben dites donc, je lui fais remarquer, vous êtes la star ici. »

« – Oui, on m’aime bien, elle me répond. Je voulais justement vous contacter, monsieur le député », elle ajoute. C’est évidemment une AVS, une auxiliaire de vie scolaire.

Depuis deux ans, elle s’occupe d’enfants handicapés, mais, à la rentrée, elle ignorait si elle serait maintenue.

Assia : « – Ça me ferait trop mal, parce que je m’occupe d’un petit garçon autiste, et je ne veux pas l’abandonner. La famille aussi voudrait me garder. »

C’est comme ça, parfois, à l’improviste, qu’un dossier vous tombe dessus. Alors, tandis que les instits distribuent des morceaux de brioche aux gamins, Assia m’a renseigné sur son métier, qui n’en est pas un, justement. Plutôt bouche-trou, pour l’instant.

Une responsable de l’académie les a d’ailleurs prévenus, avec franchise, durant une réunion : « – Si vous trouvez un autre travail ailleurs, n’hésitez pas à partir. »

Assia : « – Ça m’a retourné le sang. À la fin, je suis allée la voir dans le couloir : « – Pourquoi vous nous dites ça ? Si je fais ce métier, c’est que ça me plaît, que je me sens utile, que j’aime les enfants. »

Elle m’a répondu : « – Y a pas de budget. »

Dans la cour, les enfants siphonnaient leur brique de jus de pomme, et je poursuivais mon interview. « – Mais vous avez reçu une formation ? »

« – Non, on n’a rien. Le rectorat nous recrute, et on arrive dans l’école, on ne sait rien, rien de l’enfant, rien de son handicap. Moi, j’ai découvert l’autisme sur le tas, avec Joachim. Je me suis renseignée le soir, par internet… »

Je ne sais pas si vous imaginez le délire. Ces accompagnants – accompagnantes surtout – entrent en fonction sans la moindre formation ! Comment elles se débrouillent, alors ? Elles tapent « autisme » sur Google, ou « dyslexie », ou « trisomie ».

Assia : « – J’ai un enfant qui frappe beaucoup. Heureusement, j’ai du caractère, je ne me laisse pas faire, mais comment gérer cette violence ? Qu’est-ce que j’ai le droit de faire ou pas ? Comment le calmer ? Je n’en sais rien. »

Zéro formation, donc ; zéro information ; zéro contact avec les familles, également, ce qui est peut-être le plus humiliant.

Assia : « – On n’a pas de relation avec les parents, on n’a pas le droit ; c’est réservé à la maîtresse. On suit l’enfant toute la journée, mais on ne participe pas à son projet. »

Que dit-on, par là, à ces accompagnants, à ces accompagnantes ? Tout simplement qu’elles n’existent pas pour l’éducation nationale. Elles sont rendues invisibles, transparentes, sans statut. En toute logique, elles sont payées presque zéro : aux alentours de 700 euros, pour vingt heures par semaine.

Alors, quand Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, fait de la retape, sur France Bleu Normandie – « Je profite de votre antenne, s’il y a des personnes qui ont envie de devenir accompagnants, ce sont des contrats à 1 350 euros de salaire mensuel » –, on se demande sur quelle planète il vit ! Sans doute sur Jupiter

Et il ajoute : « Ce ne sont plus des contrats précaires ». Mais comment appelez-vous ça ? Six CDD d’un an, six ans avant de prétendre à un poste de titulaire ! Si c’est pas de la précarité, ça, c’est du poulet ?

Dans le car, en rentrant, pendant que ma fille jouait à « pierre-feuille-ciseaux », la question m’a taraudé : comment on en fait un métier reconnu ? Voilà des gens qui se dévouent, qui sont prêts à soigner les plus fragiles, les plus malades, pour un salaire de pacotille, et on les prend, et on les jette ? « Au suivant ! Au suivant ! » « À la suivante ! », plus exactement, parce que ce sont très largement des femmes. Ce sont des femmes, tout comme les assistantes maternelles pour nos bébés, tout comme les ATSEM – agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles – dans les écoles, tout comme les auxiliaires de vie sociale pour les personnes âgées. Et toutes sont sous-payées, précarisées, parce que ce sont des femmes, parce que, durant des siècles, c’était leur travail, leur travail domestique, leur travail gratuit, de s’occuper des enfants, des malades, des vieux.

Voilà qu’elles sortent de la maison. Voilà qu’elles exercent cette activité ailleurs. On ne va pas, tout de même, en faire de vrais emplois, avec de vrais horaires, de vrais salaires ! Eh bien si, et c’est une urgence, même : une urgence de justice, une urgence sociale, mais aussi une urgence écologique. Ce sont ces métiers du tendre, du lien, de la relation, que nous devons placer au cœur de la cité. Il est là, pour notre société, le chemin du progrès : dans les Assia plutôt que dans les téléphones 4G.

C’est pour cette raison que je remercie notre collègue, Aurélien Pradié, d’avoir mis ce sujet à notre ordre du jour. Contrairement aux déclarations du ministre de l’éducation nationale, ce matin, aucun projet de loi sur les AESH n’est inscrit au calendrier, rien, pas l’ombre d’un texte venant de la majorité : voilà la vérité. Je vous remercie donc de mettre ce sujet à l’ordre du jour.

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